À la croisée de la démographie médicale et des indicateurs de santé périnatale, la décision parlementaire entend poser un cadre d’observation temporaire. L’objectif : mieux comprendre les liens entre organisation territoriale des soins et évolution de la mortalité infantile.
Mortalité infantile : l’Assemblée privilégie la prudence sur les fermetures de maternités

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi visant à suspendre pour trois ans toute fermeture de maternité, sauf exception liée à la sécurité des soins. Le texte, présenté par le groupe parlementaire Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), intervient dans un contexte d’augmentation du taux de mortalité infantile en France, avec un taux de 4,1 décès pour 1 000 naissances vivantes enregistré en 2024, selon les données les plus récentes de l’Insee.
Une mesure de suspension temporaire à visée exploratoire
Le moratoire adopté par les députés interdit toute fermeture de maternité entre 2025 et 2028, à moins que des conditions de sécurité ne justifient une décision exceptionnelle. Pour accompagner cette suspension, deux dispositifs complémentaires ont été introduits dans le texte. D’une part, un état des lieux national devra être mené concernant les établissements de santé réalisant moins de 1 000 accouchements par an. D’autre part, un registre national des naissances sera institué afin de centraliser les données médicales, sociales et territoriales relatives aux naissances, dans le but de mieux évaluer les causes de la mortalité infantile et les disparités d’accès aux soins.
Mortalité infantile : un contexte épidémiologique préoccupant
En 2024, environ 2 700 nourrissons sont décédés avant leur premier anniversaire, un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes. Cette évolution concerne notamment les décès précoces, survenant entre un et 27 jours de vie, dont le taux est passé de 1,5 à 2,0 pour 1 000 naissances vivantes en un peu plus d’une décennie. Les analyses statistiques pointent plusieurs facteurs pouvant expliquer cette tendance : le recul de l’âge du premier enfant, une fréquence accrue des grossesses multiples, une plus forte prévalence de comorbidités maternelles, ainsi que d’importantes inégalités d’accès aux soins selon le lieu de résidence ou le statut socio-économique.
Les disparités touchent notamment les départements d’outre-mer, les zones rurales et certains profils de mères, comme celles nées en Afrique subsaharienne ou en situation de précarité. Ces dimensions sociales et territoriales font partie des éléments que le registre national des naissances pourrait permettre de mieux documenter dans les années à venir.
Fermetures de maternités : un impact variable selon les territoires
Depuis les années 1970, le nombre de maternités en activité a considérablement diminué en France, passant de plus de 1 300 à environ 460 aujourd’hui. Cette transformation de l’offre de soins obstétricaux s’est appuyée sur des critères de sécurité, de population desservie, et d’efficience des moyens médicaux disponibles. Toutefois, elle a également entraîné un allongement significatif des trajets pour de nombreuses femmes enceintes, notamment dans les zones faiblement peuplées.
Plusieurs études ont mis en évidence que le risque de complications augmente lorsque la distance entre le domicile et la maternité est trop importante, en particulier dans les cas de travail précoce ou d’urgence obstétricale. En parallèle, certains professionnels soulignent que les maternités enregistrant un faible nombre d’accouchements peuvent rencontrer des difficultés à garantir la sécurité des prises en charge, du fait de la rareté des gestes médicaux complexes, d’une permanence médicale plus fragile, et de conditions logistiques plus restreintes.
Le débat entre proximité et sécurité reste donc structurant dans les discussions sur l’organisation des soins périnatals. La loi adoptée n’a pas tranché cette question, mais elle entend produire des données factuelles pour en éclairer les termes.
Une position de prudence de la part du ministère
Le ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder, présent lors des débats parlementaires, a rappelé que la progression de la mortalité infantile en France ne pouvait être réduite à une seule cause. Selon lui, les réponses doivent être plurielles, intégrant à la fois des actions sur la prévention, une amélioration de l’accompagnement des femmes enceintes, et une évaluation territoriale plus fine des besoins en soins obstétriques.
Le gouvernement a d’ailleurs engagé en parallèle une réforme du carnet de santé de l’enfant, entrée en vigueur en janvier 2025. Cette version révisée renforce la surveillance médicale avec vingt examens de santé répartis sur les premières années de vie, intègre un suivi plus précis du score d’Apgar, et prévoit un encadrement plus rigoureux des enfants présentant des facteurs de risque néonatal.
Une initiative transitoire avant d’éventuelles décisions structurelles
Le moratoire voté n’engendre pas de modification directe des compétences des agences régionales de santé (ARS), qui conservent leur pouvoir d’évaluation et de planification. En revanche, il suspend temporairement leurs marges de manœuvre en matière de fermetures d’établissements, et introduit une logique de consolidation des connaissances sur le terrain.
Le texte a été bien accueilli par une partie des professionnels de santé et des représentants d’usagers, qui y voient l’occasion de réinterroger les conditions d’accès aux soins obstétriques sur tout le territoire et une amélioration contre la mortalité infantile. D’autres voix ont exprimé des réserves, mettant en garde contre le maintien de structures fragiles sans plan de renforcement ni accompagnement budgétaire.
La proposition de loi doit désormais être transmise au Sénat. L’examen dans la chambre haute pourrait donner lieu à des ajustements, notamment sur les critères de dérogation au moratoire ou sur le périmètre du registre national. La mise en œuvre des mesures annoncées, notamment l’inventaire des maternités de faible activité, nécessitera une mobilisation coordonnée des administrations centrales, des ARS et des établissements concernés.