Dengue et chikungunya : l’Europe en route vers l’endémie estivale

Ils arrivent discrètement, portés par les vents du sud, les remous climatiques et la cécité politique. Ce ne sont ni des touristes ni des commerçants, mais des moustiques, avec leur cortège viral. L’Europe ouvre les bras, sans le savoir.

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By La rédaction Santé Matin Published on 16 mai 2025 10h35
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Dengue et chikungunya : l’Europe en route vers l’endémie estivale © Shutterstock
55%Chaque degré supplémentaire élève de 55% le risque d’apparition d’un foyer épidémique.

Quand le moustique tigre fait de l’Europe son terrain de jeu

La dengue et le chikungunya s’enracinent lentement mais sûrement sur le sol européen, alerte Zia Farooq, du Départment d'Épidémiologie et de Santé mondiale à l'Université d'Umea (Suède) et son équipe dans un article publié dans la revue The Lancet Planetary Health. Cette annonce ne surprend pas les spécialistes : depuis une décennie, les signaux s’accumulent. L’année 2024 a d'aileurs marqué un tournant : l’Union européenne a enregistré 304 cas autochtones de dengue, chiffre supérieur à la totalité des cas des quinze années précédentes. Un avertissement sanitaire que peu prennent encore au sérieux.

La mutation est en cours depuis plus de trois décennies. Le moustique Aedes albopictus, communément appelé moustique tigre, a colonisé l’Europe étape par étape. Originaire d’Asie, il s’est installé en Italie dès 1990, avant de s’étendre en France, Espagne, Croatie et au-delà. Aujourd’hui, ce vecteur viral est bien établi dans 358 régions européennes réparties sur 14 pays, ont établi les auteurs de l'étude.

À mesure que le climat européen se transforme, le cycle biologique du moustique s’accélère. La chaleur favorise sa reproduction, intensifie la circulation du virus dans son organisme et rallonge les saisons d’activité. Résultat : des foyers infectieux de plus en plus fréquents, parfois distants d’à peine quelques mois. « Entre le premier foyer et le deuxième, il ne s’écoule désormais qu’un an dans certains cas », peut-on lire dans cette étude.

Europe : destination estivale… pour virus tropicaux

Les virus ne voyagent pas seuls. Ils profitent des flux touristiques, des migrations saisonnières, des échanges commerciaux. Et une fois que le moustique est là, il n’a besoin que d’un porteur infecté pour relancer une chaîne de transmission. Ce n’est plus un fantasme épidémiologique. C’est une dynamique active.

Les chercheurs notent une récurrence quasi mécanique des flambées dans les zones urbaines denses, avec une prédilection pour l’été. Il faut savoir que dans 95% des cas, les épidémies européennes se déclenchent entre juillet et septembre. L’exemple de 2024 est éloquent : les 304 cas de dengue ont surgi en quelques semaines, touchant l’Italie, la France, la Croatie et l’Espagne. Et cela, sans compter les cas importés ni les non-déclarés.

Des projections glaçantes : +500% de risque d’ici 2060

Que se passera-t-il si rien ne change ? Zia Farooq et ses collègues n’y vont pas par quatre chemins : les modèles climatiques les plus pessimistes prévoient un risque multiplié par cinq d’ici 2060. Cela suppose que la température estivale moyenne augmente encore d’un ou deux degrés – ce qui est presque certain sous le scénario SSP5-8.5 (scénario d’émissions élevées). « Chaque degré supplémentaire élève de 55% le risque d’apparition d’un foyer », expliquent les auteurs de l’étude.

Cette dynamique touche en premier lieu les zones dites favorisées, où les systèmes de santé permettent une meilleure détection. Une ironie tragique : plus un pays investit dans la santé publique, plus il semble vulnérable statistiquement. En réalité, cela révèle surtout un sous-diagnostic massif ailleurs.

Chikungunya : le faux jumeau discret mais tenace

Si la dengue fait les gros titres, le chikungunya avance en silence. Il a pourtant démontré sa létalité, notamment lors de la récente épidémie sur l’île de La Réunion. Le moustique tigre est également son principal vecteur. Les deux virus partagent la même voie : celle d’une intégration insidieuse dans les écosystèmes sanitaires européens.

Contrairement à la dengue, le chikungunya provoque des douleurs articulaires invalidantes, qui peuvent perdurer plusieurs mois. Les chercheurs alertent : les foyers autochtones se multiplient, sans qu’aucune stratégie vaccinale ne soit déployée. « L’Europe continue de considérer ces maladies comme des exceptions. C’est une erreur stratégique », avertissent les chercheurs.

Urbanisation, aveuglement et inertie politique : les alliés du virus

Pourquoi l’Europe n’agit-elle pas davantage ? L’étude du Lancet pointe du doigt l’absence de politique commune de surveillance entomologique, des infrastructures urbaines favorables aux gîtes larvaires et une méconnaissance générale des symptômes. La dengue peut ainsi passer inaperçue chez les voyageurs ou les personnes asymptomatiques. Une réalité qui, combinée à la densité urbaine, offre un terrain idéal aux virus. Les chercheurs sont clairs : « sans mesures de contrôle rigoureuses, les flambées deviendront saisonnières, puis structurelles ».

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