L’hôpital public français traverse une crise sans précédent. Sous-financement chronique, infrastructures vieillissantes, manque d’équipements modernes : les établissements sont au bord de l’asphyxie financière. Face à cette situation, la Fédération hospitalière de France (FHF) plaide pour la création d’un « livret H », un outil d’épargne calqué sur le modèle du Livret A, destiné à financer directement les besoins des hôpitaux.
Hôpital public : un « livret H » pourrait bientôt financer les équipements

Dans un contexte où l’exécutif envisage aussi d’utiliser l’épargne des Français pour le budget de la défense, cette proposition soulève de nombreuses interrogations.
Un hôpital public exsangue après des années d’austérité
Le "livret H" n’est pas une lubie de circonstance, mais une réponse à un problème structurel : le sous-financement dramatique des hôpitaux publics. Depuis plus de quinze ans, la politique hospitalière française a été marquée par des coupes budgétaires successives. La tarification à l’activité (T2A), mise en place au début des années 2000, a transformé les établissements en entreprises devant sans cesse optimiser leurs coûts, parfois au détriment de la qualité des soins.
Cette logique a conduit à des fermetures de lits en cascade. En 2003, la France comptait environ 470 000 lits d'hospitalisation complète ; en 2023, ils n’étaient plus que 375 000. Parallèlement, les besoins ont explosé, sous l’effet du vieillissement de la population et de la progression des maladies chroniques. Résultat : des urgences saturées, des délais d’attente qui s’allongent et des soignants en détresse.
Les financements publics, quant à eux, n’ont pas suivi l’augmentation des besoins. Certes, le Ségur de la santé, lancé en 2020 après la crise du Covid-19, a permis une injection exceptionnelle de fonds, mais celle-ci a surtout servi à rattraper une partie des déficits accumulés. Aujourd’hui, 40 % des hôpitaux publics ne sont plus en capacité d’investir. Faute de moyens, des services ferment, et les établissements peinent à renouveler leurs équipements, y compris ceux indispensables aux soins les plus critiques.
Le "livret H" : une solution inspirée du Livret A pour financer les équipements hospitaliers
C’est dans ce contexte de dénuement budgétaire que la FHF propose la création d’un "livret H". L’idée est simple : permettre aux Français de placer leur épargne dans un produit sécurisé, avec une rémunération indexée sur celle du Livret A, et dont les fonds serviraient exclusivement au financement des investissements hospitaliers.
Ce livret pourrait financer plusieurs types de dépenses essentielles :
- L’achat de matériel médical moderne, comme les robots chirurgicaux et les équipements d’imagerie de dernière génération.
- La rénovation et la modernisation des infrastructures hospitalières, souvent vétustes.
- Le développement de nouveaux services pour répondre aux besoins émergents, notamment en gériatrie et en soins palliatifs.
Selon la FHF, deux options sont envisageables : soit prélever une partie des fonds du Livret A, qui est actuellement utilisé pour financer le logement social, soit créer un livret totalement indépendant, avec une gestion spécifique.
Cette proposition repose sur un constat : les Français disposent d’une épargne abondante, estimée à près de 5 000 milliards d’euros. Rediriger une partie de ces fonds vers l’hôpital permettrait de pallier la faiblesse des investissements publics, sans recourir à une hausse de la fiscalité.
Une idée qui fait face à une forte concurrence budgétaire
L’État a déjà d’autres ambitions pour l’épargne des Français. Le gouvernement envisage également de créer un "livret D" (pour Défense), destiné à financer le réarmement du pays face aux tensions géopolitiques croissantes.
Cette volonté d’utiliser l’épargne nationale pour financer le budget militaire pose une question de priorités. Si le gouvernement devait arbitrer en faveur du livret D plutôt que du livret H, cela signifierait que l’hôpital public devra continuer à se débattre avec des budgets insuffisants, au risque de voir de plus en plus de Français renoncer à des soins de qualité.
Une adhésion incertaine des Français : la question du taux de rémunération
Même si le "livret H" voyait le jour, son succès dépendrait largement des conditions financières qui lui seraient appliquées. Comme l’a souligné Philippe Crevel, président du Cercle de l’Épargne, la fixation du taux de rémunération est un enjeu central. Un taux trop bas risquerait de dissuader les épargnants, tandis qu’un taux trop élevé pourrait alourdir le coût du dispositif pour les finances publiques.
D’autres questions restent en suspens : l’État garantirait-il ces placements, comme c’est le cas pour le Livret A ? Les fonds collectés seraient-ils réellement sanctuarisés pour les hôpitaux, ou risqueraient-ils d’être détournés vers d’autres postes budgétaires ? Ces incertitudes pourraient freiner l’engouement des Français pour ce produit d’épargne solidaire.
L’état de l’hôpital public ne laisse pas de place à l’hésitation. Chaque jour, des soignants doivent composer avec du matériel obsolète, des locaux dégradés et un manque criant de moyens humains. Si le "livret H" peut offrir une solution de financement complémentaire, il ne doit pas masquer la nécessité d’un engagement fort de l’État en faveur de la santé publique.