Crise des infirmiers : malaise professionnel et doutes sur leur avenir

Le 30 mars 2023, l’Institut français d’opinion publique (Ifop) a rendu publics les résultats d’une étude réalisée pour Charlotte K, portant sur le vécu des infirmiers au travail et leurs attentes concernant l’évolution de leur métier. Cette enquête intervient dans un contexte où les pouvoirs publics ont engagé, en 2024, une refondation du métier d'infirmier afin d’en adapter les pratiques aux nouveaux enjeux de santé publique​.

Le vécu des infirmiers : entre passion pour le soin et difficulté quotidienne

Selon l'étude Ifop, une part significative des infirmiers exprime un attachement profond à la dimension humaine de leur métier. La relation aux patients, l’accompagnement dans le soin et la diversité des tâches apparaissent comme les principales sources de satisfaction professionnelle​.

Toutefois, cet engagement est mis à rude épreuve par des contraintes de plus en plus lourdes. Près de six infirmiers sur dix estiment que la charge de travail constitue une difficulté majeure, impactant directement leur bien-être au travail​. La multiplication des tâches administratives, la pression temporelle et la réduction des moyens matériels accentuent ce sentiment.

L'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est également mis à mal. Moins de la moitié des professionnels interrogés se disent satisfaits de leur capacité à concilier les deux sphères​. Ces difficultés sont ressenties de manière homogène, quel que soit l’âge ou le sexe des répondants​.

Des niveaux de satisfaction préoccupants, reflet d'une crise plus profonde

Globalement, seuls 36 % des infirmiers se déclarent satisfaits de leur situation professionnelle, contre une moyenne nationale de 74 % pour les salariés toutes professions confondues​. Ce chiffre souligne une crise profonde du métier, au-delà des tensions passagères.

Les motifs d'insatisfaction sont multiples : faible reconnaissance institutionnelle, rémunération jugée insuffisante, usure psychologique liée aux conditions de travail. Si la reconnaissance des patients reste forte, celle des directions et de l'administration est perçue comme beaucoup plus faible​.

Les horaires atypiques, largement pratiqués dans la profession (nuit, week-ends, jours fériés), participent aussi à cette usure​. Cette réalité impacte particulièrement les jeunes générations, pourtant cruciales pour le renouvellement de la profession.

Un avenir incertain : de fortes envies de reconversion

Face à ce constat, de nombreux infirmiers envisagent une reconversion. Selon l’enquête, 57 % des professionnels interrogés déclarent penser à quitter leur métier pour une autre activité​. Cette tendance traverse toutes les catégories d’âge et de mode d’exercice.

Les projets de reconversion s'orientent majoritairement vers des métiers offrant davantage d'autonomie, notamment dans le secteur libéral ou entrepreneurial​. Toutefois, les obstacles financiers, le manque de temps pour se former et la complexité administrative freinent de nombreux projets​.

Parmi ceux qui restent, une majorité exprime le souhait d’évoluer au sein même du secteur sanitaire, en acquérant de nouvelles compétences ou en accédant à des postes de coordination ou de management​.

Des conséquences pour l'accès aux soins en France

La démotivation croissante des infirmiers pose une question de fond : comment maintenir une offre de soins de qualité et accessible sur l'ensemble du territoire ?

Les projections de la DREES indiquent que, malgré une croissance attendue du nombre d'infirmiers d'ici 2050, les besoins liés au vieillissement de la population devraient augmenter de 50 %​. Cette évolution pourrait accentuer les déserts médicaux existants si les départs massifs ne sont pas endigués.

Certaines régions, notamment rurales, sont déjà confrontées à une pénurie de personnel soignant. Le renforcement de l’attractivité du métier d'infirmier est donc identifié comme un levier stratégique pour garantir l'égal accès aux soins dans les années à venir.

Une refondation en cours pour répondre aux attentes

Conscients de ces enjeux, les pouvoirs publics ont engagé en 2024 un chantier de refondation du métier d'infirmier. Cette réforme vise à repenser la formation initiale, élargir les compétences cliniques et favoriser l'autonomie professionnelle​.

Parmi les pistes explorées figurent la reconnaissance élargie des pratiques avancées, le renforcement de la prévention dans le parcours de soins et la simplification des actes délégués. La concertation engagée avec les organisations professionnelles devrait permettre d’adapter le métier aux évolutions des besoins de santé.

Les mesures annoncées devront toutefois être suivies d'effets rapides pour restaurer la confiance des professionnels et enrayer la dynamique actuelle de désengagement.