« Taxe lapin » : le Conseil constitutionnel censure la sanction financière

La lutte contre les rendez-vous médicaux non honorés connaît un coup d’arrêt. Le 28 février 2025, le Conseil constitutionnel a censuré la « taxe lapin », mesure visant à responsabiliser les patients en instaurant une pénalité en cas d’absence injustifiée.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 5 mars 2025 15h59
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« Taxe lapin » : le Conseil constitutionnel censure la sanction financière © Shutterstock

Chaque année en France, plusieurs millions de rendez-vous médicaux ne sont pas honorés, un phénomène qui désorganise l’offre de soins et creuse les délais d’attente. Face à cette problématique, le gouvernement avait introduit dans la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) pour 2025 un mécanisme de sanction financière, surnommé « taxe lapin ». Cette mesure permettait aux professionnels de santé de réclamer une pénalité aux patients ne se présentant pas à leurs consultations sans annulation préalable dans un délai raisonnable. Jugée trop imprécise dans son cadre juridique, la taxe a été retoquée par le Conseil constitutionnel.

Un problème récurrent qui impacte l’accès aux soins

L’absentéisme aux consultations médicales constitue un frein majeur à la fluidité du parcours de soins. Selon des estimations de l’Ordre des Médecins et de l’Académie nationale de médecine, entre 6 et 10 % des patients ne se présentent pas à leur rendez-vous sans prévenir, générant une perte d’environ 27 millions de consultations chaque année.

Ce phénomène touche particulièrement les spécialistes en accès limité (ophtalmologie, dermatologie, gynécologie), ainsi que la médecine générale où le manque de praticiens accentue les tensions sur les agendas. Les créneaux laissés vacants sont rarement réattribués à temps, prolongeant d’autant les délais pour les autres patients. Cette désorganisation pèse lourdement sur les soignants, contraints de jongler avec un emploi du temps déjà saturé.

Le Syndicat National des Gynécologues et Obstétriciens de France (SYNGOF) rappelle que chaque créneau perdu est un patient qui aurait pu être pris en charge plus tôt. Dans un contexte de démographie médicale tendue, chaque rendez-vous non honoré représente une opportunité de soins manquée, notamment pour des populations vulnérables qui subissent déjà un accès restreint aux consultations.

Pourquoi la taxe lapin a été censurée ?

Le Conseil constitutionnel n’a pas remis en cause l’objectif de cette mesure, qu’il reconnaît comme relevant de l’intérêt général. Toutefois, il a jugé que la rédaction de l’article 52 de la LFSS 2025 était insuffisamment encadrée sur trois aspects clés.

Le texte renvoyait d'abord à un décret la fixation du montant de la pénalité et le délai minimal d’annulation d’un rendez-vous. En l’absence de précisions dans la loi elle-même, le Conseil a estimé que le gouvernement disposait d’une marge de manœuvre trop large, ce qui fragilisait la sécurité juridique du dispositif.

La mesure imposait aussi une pré-autorisation bancaire pour valider un rendez-vous, un système perçu comme une barrière potentielle pour les patients en difficulté financière ou dépourvus de moyens de paiement dématérialisés. En conséquence, cette taxe aurait pu creuser les inégalités dans l’accès aux soins.

Le Conseil a considéré que les modalités d’application de la taxe étaient trop floues, notamment sur les conditions dans lesquelles un patient pourrait être exempté de la pénalité. L’absence d’une liste claire des cas de force majeure, comme des urgences médicales ou des imprévus familiaux, posait un problème d’équité.

Médecins et syndicats de santé face à la censure

Si certains acteurs du monde médical ont salué la censure de cette mesure, estimant qu’elle aurait pu être discriminante pour certains patients, d’autres considèrent qu’il s’agit d’un recul préjudiciable à l’organisation des soins.

Le SYNGOF, qui regroupe des spécialistes particulièrement impactés par les absences injustifiées, appelle à un encadrement renforcé du dispositif afin qu’il puisse être appliqué rapidement. Le syndicat insiste sur la nécessité d’établir un cadre strict avec un montant de pénalité prédéfini, des délais d’annulation clairs, ainsi qu’une liste des cas d’exonération pour garantir un équilibre entre responsabilisation des patients et équité d’accès aux soins.

À l’inverse, des organisations comme France Assos Santé estiment que la pénalisation des patients est une approche inadaptée. Pour ces associations, la priorité devrait être donnée à l’amélioration des rappels de rendez-vous, à des systèmes de double confirmation, voire à des incitations positives pour éviter l’absentéisme plutôt qu’à des sanctions financières.

Quelles alternatives pour limiter les rendez-vous non honorés ?

Une première piste repose sur l’intensification des rappels de rendez-vous, via des SMS, e-mails ou appels automatisés. Plusieurs études ont démontré qu’un rappel 24 à 48 heures avant le rendez-vous permettait de réduire significativement le taux d’absentéisme.

Une autre approche consiste à instaurer un système de double confirmation, déjà utilisé dans d’autres secteurs comme l’hôtellerie. Les patients recevraient une demande de validation de leur rendez-vous quelques jours avant, et en l’absence de réponse, le créneau serait automatiquement libéré.

Enfin, certains praticiens plaident pour une sanction proportionnée, à condition qu’elle soit bien encadrée par la loi et qu’elle laisse une marge de flexibilité pour les cas exceptionnels.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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