La crise que nous traversons agit comme une véritable déflagration, tant sur « nous, individuel », que sur « nous, universel ».
Tout d'abord, il s'agit d'une crise sanitaire : et qu'y-a-t-il de plus important, de plus précieux, de plus angoissant que notre santé ? On le voit clairement aujourd'hui où tout s'arrête, y compris l'économie générale de notre pays, dans le seul espoir de protéger nos vies.
Il s'agit également d'une crise mondiale où quasiment toute la population est concernée. Cela renvoie à notre peur inconsciente, mais bien présente, de fin du monde, et à un sentiment, ontogénétiquement ancré en nous, à tort ou à raison, d'un possible châtiment cosmique voire céleste.
Hormis les guerres, aucune cause sans doute, n'a jusqu'à présent entraîné un tel traumatisme. Et cela est aussi à porter au crédit ou (au défaut) des outils de communication moderne qui nous « obligent » comme elles obligent tout un chacun, à suivre, heure par heure, décès après décès, ce feuilleton permanent où seule la mort l'emporte chaque jour.
C'est le décompte funeste !
Tout cela au nom de l'information, de la sécurité, de la transparence...
Mais peu de voix viennent rassurer et nous aider à se distancier un peu de nos ténébreuses pensées.
Une gestion psychologique à ne pas mésestimer
Alors bien évidemment, chacun comprend la nécessité du confinement imposé, depuis le 17 mars, par le gouvernement. Mais ce confinement, s'il est appliqué comme cela nous est ordonné, ce qui semble bien engagé, ne manquera pas de poser de sérieux problèmes psychologiques à nos concitoyens.
Être confiné, revient à être cloîtré, enfermé, claquemuré.
Rien de bien grave après tout, comparativement à cet ennemi mortel que nous chassons.
La psychologie est généralement le parent pauvre de la santé. Ses impacts et effets perçus se révèlent souvent à retardement, ce qui n'en facilite ni leur discernement ni leur légitimation.
Nous ressentons bien que tout cela n'est pas neutre, psychologiquement, mais avons le plus grand mal à identifier où se situe le danger et par quel biais il peut nous atteindre.
En réalité, nous subissons actuellement plusieurs traumatismes conjugués :
- Bien sûr, celui de la peur que nous avons décrit en préambule. Une peur sourde, qui ne cesse de croître quotidiennement et qui ne peut être combattue puisque son adversaire est invisible, sans identité et que l'on ne connaît, avec certitude, ni la date de fin de l'épisode, ni même l'issue.
- Ensuite, une peur qui nous renvoie, phylogénétiquement, aux pires angoisses de notre existence (la peste ou le choléra, par exemple).
- Mais encore, la violence de la surinformation qui est, autant qu'un paramètre d'éducation, un piège qui nous fige dans l'obsessionnalité de nos peurs.
- Enfin, ce phénomène d'enfermement, d'une certaine forme de réclusion, est loin d'être anecdotique.
L'homme est un être social, par définition.
En l'absence totale et prolongée d'interaction, il risque de plonger progressivement dans le déséquilibre avec, à l'extrême limite, 2 risques :
- le découragement, le désespoir, puis la dépression
- ou encore, la perte du sens logique, la déraison et le délire.
Entre-temps, bien heureusement, sa souffrance va pouvoir s'exprimer sous différentes formes, notamment par l'anxiété, l'insomnie ou diverses plaintes psychosomatiques (phénomènes physiques d'origine psychique : douleurs atypiques, oppression, malaises, ...).
Bien heureusement, car à ce stade, il est temps d'agir, tant pour l'individu souffrant qui doit exprimer son mal-être à son médecin, et demander à être pris en charge, que pour ce dernier qui doit rester vigilant face à ce danger. Il n'est pas question de laisser s'installer durablement ce processus qui signe un début de déséquilibre.
Bien évidemment, il n'est ici question que des plus fragiles. Mais que l'on ne s'y méprenne pas : personne n'est à l'abri d'un manque d'adaptation psychique à une situation de crise inattendue. Si cette souffrance-là, est « moins mortelle » que le virus, elle est nettement plus aisée à prendre en charge par les approches modernes à sa disposition qu'elles soient psychologiques, thérapeutiques ou institutionnelles.
Oui, vraiment, ne nous laissons pas surprendre par le risque de mal insidieux que représente l'angoisse et ses cercles vicieux : insomnie, fatigue, découragement, ... Ne soyons pas uniquement gouvernés par la peur de la pandémie. Soyons vigilants sur nos modes de réaction.
Si nous ressentons une grande fatigue, des tensions intérieures anormales, de l'irritabilité excessive, de la tristesse, ou toute forme de ressenti handicapant qui s'installe, il est nécessaire de consulter votre médecin, généraliste ou spécialiste (psychiatre). Le corps médical est là, en alerte pour protéger la population, y compris, des phénomènes induits par la crise.
Une formidable occasion de repenser le monde
Cette crise évoque pour nous, psychiatres, une 3è question : au-delà de la maladie infectieuse contre laquelle nous ne sommes pas encore immunisés et donc protégés ; au-delà des conséquences psychiques en cascade que sa gestion ne manquera pas d'entraîner, il faut s'interroger sur ce que cette crise révèle aussi de nos existences.
Chacun le sait, le dit, en parle : nos modes de vie, en un siècle, se sont profondément modifiés ; et plus vite encore dans les 5 dernières décennies ; et pas seulement sur le plan technologique.
Nous sommes entrés progressivement dans un mouvement perpétuel, les yeux rivés sur nos portables, dans une soif de contrôle de tout ce qui nous environne et de tout ce à quoi nous tenons. Ne nous épuisons-nous pas à courir sans cesse derrière nos aspirations jamais suffisamment accomplies ?
Cette crise « géante », est une occasion incroyable de prendre du recul, de faire un reset en nous-mêmes.
L'occasion nous est donnée, de manière inattendue, de bousculer nos addictions survitaminantes, de développer enfin un sens plus relatif et philosophique de l'existence, de retrouver un peu d'intériorité qui fera socle sur notre chemin.
On le constate, tous les grands hommes, toutes les grandes et belles aventures humaines se sont façonnées à travers des crises personnelles. Ces crises, inévitablement douloureuses, permettent de transformer notre vision de l'existence et de nous faire grandir.
Comme le disait le philosophe allemand Gottfried Leibnitz, « le mal n'est pas le mal s'il est un moment nécessaire dans le progrès ». Je ne parle pas ici du progrès technologique qui a transformé nos vies comme jamais, mais qui est aussi corrélé à un accroissement évident de la fragilité psychique de l'espèce humaine. Mais plutôt du progrès de l'Homme ; un Homme qui retrouverait ses fondations, ses bases, et par là-même sa robustesse ; un Homme qui s'ouvrirait davantage à lui-même comme aux autres dans une quête plus profonde de sens, bien au-delà des plaisirs immédiats, des contacts incessants, des comportements consuméristes.
Ce Covid-19 est peut-être l'occasion d'imaginer un monde plus raisonnable, plus équilibré et plus épanoui. Nous devons être capable d'initier cette révolution.