L’Université des sciences et technologies de Chine (USTC) a publié, le 22 mai, dans la revue Cell une découverte qui semble tout droit sortie d’un film d’espionnage. Ces chercheurs ont mis au point des lentilles de contact capables de capter la lumière infrarouge, jusqu’alors invisible pour l’œil humain, et de la transformer en images visibles. Cette avancée, aussi impressionnante sur le plan scientifique qu’inquiétante dans ses implications, remet en question les frontières de nos sens naturels.
Des chercheurs chinois créent des lentilles pour améliorer la vision dans le noir
By
Published on 26 mai 2025 12h30
Des lentilles infrarouges pour une vision hors du commun
Ce ne sont pas des gadgets de cinéma. Les lentilles développées à Hefei ne se contentent pas d’être souples et confortables : elles réinterprètent littéralement ce que perçoit la rétine. Grâce à des nanoparticules dites de « conversion ascendante », des composants nanométriques capables d’absorber des photons infrarouges pour les réémettre sous forme de lumière visible, les rayons infrarouges deviennent soudainement perceptibles. Concrètement, cela permet à l’utilisateur de « voir » dans le noir, de détecter des signaux invisibles, et même de percevoir la lumière à travers la peau.
Dans les tests effectués, les sujets distinguaient des signaux infrarouges les yeux fermés. Oui, fermés. Quand la lumière traverse les paupières, c’est une autre définition du regard qui s’impose. Des essais menés sur des volontaires ont montré qu’ils parvenaient à percevoir les signaux infrarouges, parfois avec plus de clarté les paupières closes, ces ondes traversant aisément les tissus cutanés.
Des usages stratégiques aux applications médicales
La lumière infrarouge, déjà omniprésente dans les dispositifs de vision nocturne, les systèmes de surveillance ou l’imagerie végétale, trouve ici un nouveau vecteur. Ces lentilles pourraient permettre à des agents de sécurité de repérer des signaux discrets, ou à des secouristes de repérer des personnes dans l’obscurité totale. Le professeur Tian Xue, coauteur de l’étude, va plus loin dans la revue Cell : « La lumière infrarouge vacillante pourrait être utilisée pour transmettre des informations dans des contextes de sécurité, de sauvetage, de lutte contre la contrefaçon ou de cryptage ».
Autre avantage insoupçonné, la correction du daltonisme. En transformant la lumière rouge (difficilement discernée par certaines personnes) en lumière verte, plus visible, ces lentilles ouvrent une nouvelle voie de traitement non invasif. Une remarque technique s’impose toutefois, la proximité de la lentille avec la rétine rend l’image floue. Pour contourner cette limite, les chercheurs ont également conçu des lunettes utilisant la même technologie, plus efficaces à distance pour obtenir une image nette.
Des implications anthropologiques : l’humain bionique est-il déjà là ?
Ce genre de progrès, aussi enthousiasmant qu’il soit, alimente aussi une réflexion éthique. Sommes-nous en train de franchir la ligne entre l’humain et la machine ? Pour l’anthropologue Daniela Cerqui, de l’Université de Lausanne, cette obsession du dépassement des limites biologiques est symptomatique de notre époque : « L’idée de finitude, de limite de l’humain, est devenue inacceptable dans notre société », déclare-t-elle dans La Matinale, citée par RTS Info. L’homme bionique n’est plus une chimère. Il est en gestation dans les laboratoires. Et cette lentille, à peine plus épaisse qu’un cheveu, pourrait bien être son premier œil.