Nestlé : des eaux minérales traitées tolérées par l’Élysée

La commission d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau a lancé une accusation d’une gravité inédite ce 8 avril. Selon son rapporteur, le sénateur Alexandre Ouizille, l’Élysée aurait « ouvert les portes de ministères » au groupe Nestlé Waters, tout en sachant pertinemment que celui-ci « trichait depuis plusieurs années » sur le traitement de ses eaux minérales.

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By Stéphanie Haerts Published on 9 avril 2025 17h00
Nestlé : des eux minérales contaminées tolérées par l’Élysée
Nestlé : des eaux minérales traitées tolérées par l’Élysée © Shutterstock

Une Élysée perméable au lobbying de Nestlé dans le dossier des eaux minérales

Les accusations ne sont pas voilées. « La présidence de la République était loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé », a déclaré Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale, lors d’un point presse organisé le 8 avril. Le sénateur socialiste ne s’est pas contenté de formules vagues. Il s’est appuyé sur des preuves tangibles, extraites de 74 pages de documents, qui attestent de la fréquence et de la densité des échanges entre la présidence et le groupe agroalimentaire suisse.

Dès 2022, alors que les premières alertes sanitaires étaient connues, l’exécutif aurait facilité l’accès de Nestlé à plusieurs ministères stratégiques. Le 10 octobre 2024, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, rencontre le nouveau directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, accompagné de Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters. Quelques jours plus tard, le lobbyiste Nicolas Bouvier relance le secrétariat d'Alexis Kohler pour obtenir les « bons contacts à solliciter » dans les administrations. Une coordination qui, selon la commission, établit une forme d’assistance active de la présidence à un acteur privé, malgré les soupçons.

Nestlé : pratiques illégales et amendes négociées

Le scandale ne porte pas uniquement sur des conflits d’intérêts. Il concerne la santé publique. Dès janvier 2023, une note interne du directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, recommandait de « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau » sur les sites Nestlé des Vosges et du Gard. Motif : contaminations détectées à l’arsenic, aux matières fécales et à des agents virologiques. Selon les révélations successives du Monde, de Radio France et confirmées par BFMTV, Nestlé a eu recours à des traitements interdits (microfiltration, UV, charbon actif) pour maintenir la conformité sanitaire apparente de ses produits.

En septembre 2024, la firme a accepté de payer deux millions d’euros pour clore une procédure judiciaire engagée par l’organisation Foodwatch, évitant ainsi un procès public. Mais cette transaction ne fait pas disparaître les faits. La députée Mathilde Panot, dans une question écrite à l’Assemblée nationale le 17 décembre 2024, souligne que « malgré la détection de la pollution des eaux à l’arsenic, aux matières fécales, aux polluants […] Nestlé Waters a continué à commercialiser des eaux ayant un potentiel significatif de provoquer des cancers ou des épidémies de gastro-entérite ».

Le silence d’Alexis Kohler

L’exécutif, mis en cause, s’est retranché derrière le principe de séparation des pouvoirs. Convoqué par la commission d’enquête, Alexis Kohler a refusé de s’expliquer. Un comportement qualifié d’« incompréhensible » par le rapporteur. « Je ne comprends pas pourquoi il serait conforme à la séparation des pouvoirs de nous transmettre des documents, mais pas de venir s’expliquer sur ces documents devant la représentation nationale », s’est agacé Alexandre Ouizille dans des propos rapportés par BFMTV.

La loi est pourtant claire. Selon l’ordonnance du 17 novembre 1958, toute personne dont l’audition est jugée nécessaire par une commission d’enquête est tenue de s’y présenter, sous peine de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Mais face à l’absence de précédent juridique concluant, la commission a décidé de ne pas saisir la justice, préférant proposer une « modernisation de l’ordonnance » pour renforcer le pouvoir d’enquête parlementaire.

La santé publique sacrifiée ?

Dans les Vosges et en Occitanie, 70 % des forages destinés aux eaux minérales Nestlé sont affectés par des pollutions. La présence de PFAS, micropolluants, engrais azotés et phosphorés, a été documentée dans un rapport interne de Nestlé, rédigé par ses ingénieurs et révélé par Mediapart. Des éléments que la direction de Nestlé n’a pas niés, tout en esquivant les explications : « Je n’ai pas la raison pour laquelle ils étaient en place », a déclaré la présidente de Nestlé Waters à propos des traitements interdits.

Le silence de l’État, l’inaction de ses représentants malgré les signaux multiples, internes comme externes, et l’ouverture d’accès privilégiés à une entreprise privée engagée dans des pratiques illégales posent question. Que vaut la protection de la santé publique quand elle se heurte aux intérêts industriels ?

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Rédactrice dans la finance et l'économie depuis 2010. Après un Master en Journalisme, Stéphanie a travaillé pour un courtier en ligne à Londres où elle présentait un point bourse journalier sur LCI. Elle rejoint l'équipe d'Économie Matin en 2019, où elle écrit sur des sujets liés à l'économie, la finance, les technologies, l'environnement, l'énergie et l'éducation.

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