Transmission du coronavirus : Semmelweis avait déjà tout expliqué il y a… 150 ans

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 20 mars 2020 à 12h37
Coronavirus Contamination Asepsie
1855En 1855, le hongrois Ignace-Philippe Semmelweis traite d'assassins les médecins qui ne se lavent pas les mains avant d'examiner leurs patients.

La pandémie mondiale provoquée par le coronavirus, baptisée Covid-19, semble encore nous surprendre, et en particulier, la transmission des microbes entre êtres humains. Dans "les grands esprits ont toujours tort", publié en 2005, je racontais comment le hongrois Ignace-Philippe Semmelweis avait découvert la transmission des maladies, et tenté d'alerter ses confrères, incrédules...

Les antibiotiques, les greffes d’organes ou les vaccins n’ont pas toujours existé. La médecine a, encore récemment, ignoré certaines évidences. Au cours du XXe siècle, des maladies infectieuses graves, dont l’issue pouvait être mortelle, sont devenues banales, quand elles n’ont pas été éradiquées grâce aux vaccins ou à des traitements simples et efficaces. La syphilis par exemple, dont nombre de grands hommes ont souffert et sont morts souvent dans d’atroces souffran¬ ces, se soigne aujourd’hui avec une seule injection de pénicilline. La poliomyélite, qui emportait statistiquement un ou deux camarades de classe au cours d’une scolarité même après-guerre, a disparu d’Europe officiellement en 2002 grâce à la vaccination, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Sans parler des prouesses des chirurgiens qui remplacent tous les ans des dizaines de milliers d’organes malades ou endommagés comme le cœur, les poumons ou les reins, partout dans le monde. Les services de néo-natologie sauvent des prématurés de cinq mois à peine.

L’asepsie, c’est-à-dire la méthode visant à supprimer tout risque de contamination microbiologique d’un heu ou d’un patient, est l’une de ces évidences. Ignace-Philippe Semmelweis, qui l’avait découverte, en est presque mort, condamné par ses pairs alors qu’il dénonçait leur ignorance. Ce médecin hongrois savait en effet dès 1846 que les praticiens pouvaient donner la mort involontairement en transmettant des germes invisibles par les mains. Il venait de découvrir le principe même de l’infection iatrogène et nosocomiale ainsi que l’importance de l’asepsie. Il faudra attendre Pasteur en 1877 pour que la communauté scientifique admette, non sans peine, la théorie microbienne de la maladie. Le pauvre Semmelweis n’avait aucune chance d’être pris au sérieux.

En tant que médecin, il n’est facile d’admettre ni pour son ego ni pour sa conscience que si un tiers des femmes qu’on accouche meu¬ rent, c’est qu’on y est peut-être pour quelque chose. Pensez donc ! Vous aidez à donner la vie, et voici que vous provoquez la mort sans le savoir et sans le vouloir. Le reconnaître exige une grande humilité. Ainsi, quand Ignace-Philippe Semmelweis découvre de manière empirique les règles de base de l’hygiène et de l’asepsie grâce à son premier poste d’obstétricien, les scientifiques hurlent au charlatan.

En 1850, une femme sur trois meurt en couches à Vienne !

À l’Hôpital général de Vienne, deux pavillons de maternité se partagent alors les accouchements, l’un dirigé par le professeur Klin, l’autre par le professeur Barcht. La fièvre puerpérale, qui frappe les femmes après l’accouchement, fait des ravages.

Semmelweis observe que les patientes meurent vingt fois plus chez Klin que chez Barcht. Pire, une femme court moins de risque en accouchant dans la rue que chez Klin ! Il pointe très vite la cause de cette différence. Chez le premier, ce sont des étudiants en médecine qui pratiquent les accouchements, tandis que, chez le second, la tâche est accomplie par des sages-femmes. Un échange des équipes entre les deux services confirme son intuition. La mort suit les étudiants dans le pavillon de Barcht, qui, affolé, arrête l’expérience. Opiniâtre, Semmelweis piste les étudiants et découvre qu’ils farfouillent indifféremment dans les cadavres disséqués et dans les entrailles des accouchées sans aucune précaution d’hygiène.

La théorie de l’infection véhiculée par les mains - on ne parle pas encore de microbes - vient de naître dans l’esprit de Semmelweis, en même temps que celle de l’asepsie. Pressentant qu’il tient la solution, il veut obliger les étudiants qui sortent d’autopsie à se laver les mains avec une solution à base de chlorure de chaux. Mais l’homme est caractériel et brutal. Il manque de courtoisie à l’égard du professeur Klin, qui, vexé, le révoque sans ménagement. Profondément déprimé, Semmelweis émigre en Italie, à Venise, en quête de dolce vita. Il passe deux mois à gondoler sur les canaux.

De retour à Vienne, il apprend la mort d’un ami, Kolletschka, professeur d’anatomie. Il s’est coupé avec un scalpel au cours d’une autopsie, ce qui a déclenché chez lui une infection fatale.

En prenant connaissance des symptômes qui ont conduit le médecin à la mort, Semmelweis ne reconnaît que trop bien ceux de la fièvre puerpérale. Conforté dans son idée, il décide de reprendre son combat. Grâce à Skoda, professeur réputé et ami, Semmelweis réintègre ses fonctions, au pavillon de Barcht cette fois, où il troque les sages-femmes contre les étudiants de Klin. Là, il impose le lavage des mains obligatoire. Les résultats sont spectaculaires. Le taux de mortalité par fièvre puerpérale descend à 0,23 % en quelques mois', soit 23 femmes sur 10 000, quand Klin enregistrait des pics de 31 décès pour 100 accouchements, soit près d’une femme sur trois ! Cette victoire est bien maigre face aux attaques de Klin qui a rassemblé une meute d’adversaires. On le traite de menteur et de fou, on juge sa théo¬ rie de l’asepsie « malsaine ». Comment admettre l’existence de germes invisibles ? Face à la maladie, la médecine d’alors croit à la théorie de la génération spontanée. L’ampleur du scandale est telle que Semmelweis est révoqué pour la seconde fois en 1849. Chassé, il rejoint sa Hongrie natale, en plein soulèvement contre Vienne et l’empire.

À l’époque, Buda et Pest sont deux villes distinctes séparées par le Danube (elles ne seront réunies qu’en 1873 pour former la Budapest actuelle). Semmelweis s’installe à Buda. Il se constitue une clientèle, se marie et fonde une famille. Mais la guerre, qui fait rage jusqu’en 1867, dépouille la Hongrie de ses richesses et de sa liberté. L’Autriche s’allie à la Russie pour écraser le pays.

Les microbes et les virus n'existent pas encore, mais Semmelweis les devine

La famine sévit et les médecins ne parviennent plus à se faire payer. Semmelweis traverse deux hivers de misère. C’est encore une fois son ami Skoda qui lui vient en aide en 1851 en le recommandant auprès de Birley, un obstétricien qui veut bien de lui, mais pas de ses « théories fumeuses ». Contraint à faire profil bas, Semmelweis reprend son activité d’accoucheur à l’hôpital Saint-Roch de Pest, en se lavant les mains en cachette.

Il recommence à gagner sa vie, il occupe même en 1855 la chaire d’obstétrique théorique et pratique à l’Université de Pest. Un an plus tard, à la mort de Birley, Semmelweis le remplace à la direction de l’hôpital. C’est l’occasion rêvée d’imposer l’asepsie à tous. Mais sa maladresse est chronique. Son premier acte en tant que directeur est d’adresser une « lettre ouverte à tous les professeurs d’obstétrique » dans laquelle il traite d’assassins tous ceux qui ne voudront pas se soumettre à ses règles d’hygiène. Pas très diplomate... La haine qu’il déclenche est sans limite. Conspué, Semmelweis s’épuise. Sa santé se dégrade.

Semmelweiss, sujet de thèse de...Céline

À ce moment de l’histoire, légendes et fantasmes se disputent la vérité. Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, médecin avant d’être écrivain, a soutenu sa thèse en 1924 sur Semmelweis. Il y raconte la détresse mentale du médecin, son internement dans un asile psychiatrique, jusqu’à ce jour de juillet 1865 où Semmelweis, toujours d’après Céline, débraillé et délirant, fait irruption à la Faculté de médecine. Il fend la foule d’étudiants groupés autour d’un cadavre pour une autopsie, s’empare d’un scalpel pour découper la chair putride, et se taillade volontairement les bras et le torse pour s’infecter avec succès et mourir trois semaines plus tard. La thèse de Céline ne reprend pas le récit de 1906 écrit par Tiberius de Gyory, professeur hongrois à l’Université de Budapest et biographe de Semmelweis. Il affirme que le médecin s’est infecté accidentellement au cours d’une opération, peu avant d’être interné à la Maison des Aliénés de Vienne. Pour Sherwin B. Nuland, c’est une crise de délire qui a précipité Semmelweis dans l’abîme. Devenu violent, il est battu par le personnel de l’asile au point de succomber à ses blessures.

S’est-il suicidé en s’auto-infectant, confirmant ce que ses pairs ne voulaient ni voir ni savoir ? Est-ce le mauvais sort qui a validé sa théorie ? A-t-il été assassiné, battu à mort par des imbéciles ? Ce qui est sûr, c’est qu’Ignace-Philippe Semmelweis est bien mort le 13 août 1865 à la Maison des Aliénés de Vienne. Méprisé par la Faculté et le corps médical, abandonné par ses proches, ses amis, interné, mort dans des conditions effroyables.

Enterré au cimetière Kerepesi de Budapest, aux côtés des plus grands Hongrois, il est aujourd’hui unanimement reconnu comme le père de l’asepsie, une des plus importantes découvertes de l’histoire de la médecine. Elle a permis de sauver des dizaines de millions de personnes de la mort ou de graves maladies iatrogènes. En Autriche et en Hongrie, des timbres ont été imprimés à son effigie, le Musée Semmelweis de l’Histoire de la Médecine est installé dans sa maison natale à Budapest depuis 1964, et un fonds Ignace-Philippe Semmelweis a été créé en 2005 par la Fondation scientifique de Lyon pour soutenir la maîtrise des risques d’infections nosocomiales. Quant à la Faculté de Médecine de Budapest où il occupait la chaire d’obstétrique en 1855, elle a été rebaptisée en 1969 Semmelweis University of Medical Sciences. Revanche posthume plus savoureuse encore, en Autriche, où on l’a méprisé et chassé alors qu’il tentait de sauver de jeunes mères... C’est une maternité qui porte son nom.

Note de l'auteur : dans sa thèse sur Semmelweis, Céline parle d’un taux de 23 décès maternels pour 10 000 naissances, uniquement causés par infection puerpérale. A son époque, le premier tiers du XXe siècle, on ne faisait pas mieux. De nos jours, on compte 529 000 décès maternels par an dans le monde, toutes causes confondues, soit 400 décès pour 100 000 naissances (17 pour 100 000 en France). 15 % de ces décès sont causés par des infections (Source : Organisation mondiale de la santé, Rapport sur la santé dans le monde 2005).

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Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin. Il est également intervieweur économique sur RTL dans RTL Grand Soir (en semaine, 22h17) depuis 2016.Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time. En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007.Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an.En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier. Il a également été éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018. Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont notamment "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ainsi que "le Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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